SUR LES

ANTHÉROZOÏDES ET LA DOUBLE COPULATION SEXUELLE

CHEZ LES VÉGÉTAUX ANGIOSPERMES

PAR

M. L. GUIGNARD (1).

 

La découverte si intéressante des anthérozoïdes chez certaines Gymnospermes ne pouvait manquer de rappeler l'attention sur les phènoménes de la fécondation. Sans être guidé, cependant, par 1'espoir de trouver de semblables corps fécondateurs chez les Angiospermes, diverses raisons m'avaient engagé à reprendre 1'étude de ce sujet à l'aide d'une technique plus perfectionnée que celle dont j'avais pu me servir il y a une dizaine d'années.

Ces nouvelles recherches, faites d'abord sur le Lilium Martagon, qui m'avait autrefois servi de principal objet d'étude, m'ont révélé des faits si curieux et, à certains égards, si inattendus, que j'aurais voulu, avant de les faire connaitre, les approfondir encore cette année (2) et achever des observations comparatives entreprises sur d'autres plantes. Mais un travail sur le même sujet, dù à M. Nawaschine, et dont je n'ai pris connaissance récemment que par une courte analyse (3), m'engage à ne pas tarder plus longtemps à publier mes résultats en ce qui concerne la plante précitée, qui a été étudiée également par cet observateur. A en juger par l'analyse dont il s'agit et dans laquelle il n'est, d'ailleurs, pas fait mention de figures données par l'auteur, ces résultats paraissent concorder, sur les points essentiels, avec ceux que le savant russe a eu le mérite de signaler. Je les résume en les accompagnant de quelquesunes des figures qui m'ont été fournies par mes nombreuses préparations.

Parmi les questions qui m'avaient paru mériter de nouvelles recherches, se trouve la division du noyau secondaire du sac embryonnaire, laquelle accompagne la fécondation de l'oosphère et prélude à la formation de l'albumen. Ce noyau secondaire résulte, comme on le sait depuis les recherches de M. Strasburger et les miennes, de l'union de deux noyaux appartenant chacun à l'une des deux tétrades nucléaires qui occupent respectivement le sommet et la base du sac embryonnaire. De ces deux noyaux, que j'ai appelés polaires, le supérieur est le frére du noyau de l'oosphère, l'inférieur est le congénère des antipodes. Dans le Lilium Martagon et d',autres espèces du même-genre, le premier (Pl. 4, fig. 1, ps) se distingue de bonne heure du noyau de-l'oosphère par sa plus grande dimension et reste au voisinage de cette cellule; le second (pi), plus volumineux encore, est situé ordinairement au-dessous d'une grande vacuole, occupant le centre du sac embryonnaire, et remonte le long de la paroi pour s'unir au précédent.

J'avais constaté que, dads ces plantes, les noyaux polaires ne s'accolent que tardivement et sans se confondre, très peu de temps avant l'arrivée du tube pollinique au sommet du sac embryonnaire, et parfois même seulement au moment où l'une des deux cellules mâles du tube pollinique a pénétré dans l'oosphère. Dans d'autres plantes, au contraire, la fusion des noyaux polaires est non seulement plus précoce, mais encore plus complète, car elle donne une masse unique pourvue d'un seul nucléole.

Le fait qui m'avait alors le plus frappé, dans le Lis, est la rapidité avec laquelle le noyau secondaire, dans lequel les deux noyaux polaires restaient ordinairement reconnaissables, entre en division après que l'un des deux noyaux niales du tube pollinique s'est uni au noyau femelle de l'oosphère. Cette division, en effet, qui n'a jamais lieu tant que le tube pollinique n'est pas entré dans le sac embryonnaire, précéde toujours celle du noyau de l'œuf; de sorte que, souvent, quand cette dernière s'accomplit, on trouve déjà huit noyaux d’albumen dans le sac embryonnaire.

I1 semblait donc que la copulation des noyaux mâle et femelle suffit, à elle seule, à provoquer et à déterminer à distance la division du noyau secondaire et, par suite, la formation de l'albumen. Bien que l'on sût que, dans certains cas, une fusion nucléaire peut être suivie d'une division ultérieure de la masse commune, le phénomène en question n'en présentait pas moins quelque chose d'obscur, dont je métais proposé de rechercher 1'explication.

Celle-ci nous est maintenant fournie par les faits suivants, qui jettent un jour nouveau sur la fécondation chez les Angiospermes.

Dès que le tube pollinique a pénétré dans le sac embryonnaire, les deux cellules mâles qu'il renfermait à son extrémité s'en échappent rapidement l'une après l'autre. Le noyau de chacune d'elles se montre ètiré et d'apparence à peu près homogène; on le voit parfois entouré d'une mince couche de protoplasme propre, provenant de sa cellule primitive (Pl. 4, fig. 2, an1), mais cette couche n'est bientôt plus reconnaissable.

L'un de ces noyaux mâles (an) va rejoindre le noyau polaire supérieurs (ps), on les deux noyaux polaires s'ils sont accolés (ps et pi), l'autre (an1) va s'unir au noyau de l'oosphère (oo). Les membranes d'enveloppe de l'oosphère et des synergides (sn) sont alors eutièrement ou partielleinent détruites, sans doute à cause du passage des é1émeuts mâles; souvent les noyaux des deux synergides se désorganisent, ou bien l'un d'eux conserve encore pendant quelque temps sa structure primitive (fig. 2 et 5).

Les noyaux mâles s'allongent l'un et l'autre en un corps qui s'incurve de façons variables, d'abord en forme de crochet, de croissant ou de boucle, 1égèrement renflés au centre et parfois plus minces à l'un des bouts. Ils prennent un aspect vermiforme. Leur allongement s'accompagne d'une. torsion, qui peut être celle d'une spirale comprenant un deux tours irréguliers (Pl. 4, fig. 2 à 11, an et an1). J'en ai observé un grand nombre dont les aspects trés divers, remarqués aussi par M. Nawaschine, pourraient faire supposer 1'existence de mouvements. Bien qu'ils soient dépourvus de cils et d'enveloppe protoplasmique propre, comme c'est d'ailleurs le cas pour les anthérozoïdes quand ils ont pénétré dans le protoplasme de l'archégone, ils n'en méritent pas moins le même nom que les corps reproducteurs mâles des Cryptogames vasculaires on de certaines Gymnospermes.

Considérons maintenant, en premier lieu, la façon dont l'un d'eux se comporte en s'unissant aux noyaux polaires, car c'est là l'un des faits les plus curieux.

Si les noyaux en question sout fort isolés, l’anthérozoïde va d'abord s'accoler au polaire supérieur, plus rapproché du tube pollinique que le polaire inférieur, et se soude avec lui, soit par l'une de ses extrémités, soit par une autre partie du corps. Ensuite, le polaire inférieur vient le rejoindre. Mais ce dernier phènoméne n'est pas dèterminé par la présence de l’anthérozoïde, puisqu'on a vu précédemment que ce noyau inférieur se déplace pour venir très souvent, avant l'arrivée du tube pollinique, se mettre en contact avec le noyau supèrieur.

Si l'accolement des noyaux polaires a déjà en lieu antérieurement, l’anthérozoïde peut venir aussi se fixer d'abord sur le polaire supérieur (Pl. 4, fig. 12); mais, d'ordinaire, il paraît les rejoindre l'un et l'autre à peu prés simultanément, et on le trouve sur le côté des noyaux accolés, avec lesquels il contracts une adhérence,qui devient de plus en plus intime au fur et à mesure qu'il grossit.

Même quand les noyaux polaires sont encore séparés l'un de l'autre avant 1'entrée du tube pollinique dans le sac embryonnaire, il petit arriver aussi que l’anthérozoïde aille s'unir au noyau inférieur (Pl. 4, fig. 6 et 17), ce qui dépend, selon toute apparence, de la position qu'occupe ce dernier par rapport au lieu de pénétration du tube pollinique. Si donc l’anthérozoïde s'unit ordinairement, en premier lieu, au noyau polaire supérieur, c'est pour une raison de proximaté, et non parce que celurei, étant le frère du noyau de l'oosphère, participe des propriétés de ce noyau femelle et diffère davantage du noyau polaire inférieur.

Cet anthérozoïde qui va copuler ainsi avec les noyaux polaires, sort-il le premier on le second du tube pollinique? Au fond, la question n'a que peu d'importance, puisqu'on sait que les deux cellules mâles contenues dans le tube présentent les mêmes caractères et, par suite, sout équivalentes; les deux anthérozoïdes doivent donc avoir les mêmes propriétés. En tout cas, l observation de stades analogues à ceux des fig. 2 et 6 donne à penser que c'est ordinairement l'anthérozoïde sorti le premier du tube qui se dirige vers les noyaux polaires. Dans la fig. 6, les deux noyaux polaires qui paraissent superposés étaient, en réalité, situés sur les deux faces opposées du sac embryonnaire.

Quant au second anthérozoïde, qui va s'unir au noyau de l'oosphère, il reste toujours, et à tous les stades, relativement plus mince et plus court que le premier (Pl. 4, fig. 1 à 7, an1 et fig. 8 à 11); mais il présente les mêmes caractéres de structure. Il s'accole latéralement au noyau femelle et parfois 1'embrasse dans une boucle plus ou moins compléte (fig. 9).

Jusqu'au moment de la division des produits de la copulation, les deux anthérozoïdes se distinguent l'un et l'autre des noyaux auxquels ils se sont unis non seulement par leur forme spéciale, mais encore par l'aspect qui leur est communiqué par leur contenu chromatique. Presque homogène au sortir du tube pollinique, comme on l'a vu précédemment, leur corps offre bientôt de fines granulations nucléiniennes, qui grossissent dans la suite et se disposent en un réseau filamenteux analogue à celui des noyaux ordinaires. Parfois même, à un stade avancé, les cordons chromatiques présentent à la périphérie du corps une disposition d'apparence spiralée (Pl. 4, fig. 17 à 19); mais la coupe transversale montre que des cordons se dirigent également en tous sens à son intérieur. Les nucléoles n'apparaissent dans le corps renflé des authérozoïdes que peu de temps avant la division des produits de la copulation.

A une phase avancée de son grossissement, et surtout quand il était tordu en spirale, l’anthérozoïde soudé aux noyaux polaires communique souvent à la masse commune un aspect mamelonné que j'avais remarqué jadis, mais sans en reconnoître la cause. D'autre part, au moment où cet anthérozoïde vient rejoindre les noyaux polaires, en se plaçant entre eux, comme la fig. 5, par exemple, il offre parfois, s'il n'a pas été convenablement fixé par les réactifs, l'apparence d'un corps allongé, renflé aux deux bouts, et simulant plus on moins la fusion de petits corps arrondis ou ovoïdes. Cette apparence variable, jointe à d'autres causes d'inexactitude, ont contribué à me faire admettre à tort la présence et la fusion de centrosphères au moment de la copulation des noyaux polaires ou sexuels. On était loin d'ailleurs de soupçonner 1'existence des phènoménes dont il vient d'être question, et les procédés techniques employés avant ces dernières années dans ce genre d'études chez les plantes étaient insuffisants.

Comme la formation de l'albumen précéde toujours la division de l'œuf, les changements morphologiques sont plus prononcés, à partir d'un certain stade, dans l'anthérozoïde qui s'est uni aux noyaux polaires que dans celui qui s'est accolé au noyau de l'oosphère. La masse formée par la copulation du premier avec les noyaux polaires conserve un contour irrégulier (Pl. 4, fig. 7) et, même quand les prophases de sa division se manifestent par la contraction et la disposition pelotonnée des filaments chromatiques, on peut encore reconnaître parfois la triple origine du noyau secondaire du sac embryonnaire. Cette fusion de trois noyaux permet aujourd'hui de mieux comprendre la cause de l'augmentation si marquée du nombre de chromosomes du noyau secondaire, sur laquelle j'avais appelé l'attention.

De même la double origine du noyau de l'œuf reste encore visible, et même d'une façon plus manifeste, jusqu'à l'entrée en division de ce noyau, ainsi que je, l'ai fait remarquer dans mes observations antérieures.

En résumé, le phènoméne essential, que M. Nawaschine a signalé et dont j'ai suivi de mon côté toutes les phases, consiste dans 1'existence d'une double copulation sexuelle dans le sac embryonnaire l'une donnant naissance à 1'embryon représentant l'organisme définitif, l'autre fournissant l'albumen, sorte d'organisme transitoire qui servira à la nutrition de 1'embryon.

Ces deux copulations ne sont pas entièrement comparables. En effet, dans la première, les noyaux mâle et femelle possèdent l'un et l'autre le nombre de chromosomes réduit qui caractérise les noyaux sexuels (dans le cas actuel, ce nombre, comme je l'ai montré jadis, est égal à 12); dans la seconder au contraire, si l’anthérozoïde apporte de son côté le même nombre réduit, il en est autrement pour le noyau polaire inférieur, tout au moins, car il se forme avec un nombre de chromosomes qui, souvent, paraît environ une fois plus élevé et par conséquent voisin de celui des noyaux végétatifs. Ce qui le prouve, c'est que le noyau secondaire, au moment où il se divise, oflre un nombre de chromosomes supérieur à celui qu'il devrait avoir si les noyaux dont it dérive n'avaient eu tous les trois que le nombre réduit caractéristique des é1éments sexuels. La premiére copulation représente donc, seule, une fécondation vraie ; la seconde, une sorte de pseudo-fécondation (1).

Ce double phènoméne a pour agents déterminants les deux cellules mâles équivalentes du tube pollinique, dont les noyaux, dès leur entrée dans le sac embryonnaire, revètent des caractères morphologiques tout particuliers et se comportent d'une façon telle que je crois pouvoir les assimiler aux anthérozoïdes, dans lesquels le noyau forme, comme l'on sait, la masse principals et essentielle du corps.

 

EXPLICATION DE LA PLANCHE 4

 

Lettres commands: syn, noyau de synergide; oo, noyau de l'oosphère; ps, noyau polaire supérieur; pi, noyau polaire inférieur; ant, cellules antipodes; an et an1, anthérozoïdes. - Grossissement 400 diam.

Fig. 1. Sac embryonnaire adulte, dans lequel les noyaux polaires ne se sont pas rejoints avant 1'entrée du tube pollinique dans le sac embryonnaire. - Fig. 2. L'un des anthérozoïdes an1, s'est accolé au noyau polaire supérieur; l'autre an est encore libre, vers l'extrémité du tube pollinique, à peu de distance du noyau de l'oosphère. Les membranes de l'oosphère et des synergides sont en partie détruites. - Fig. 3. L'anthérozoïde an est au contact des deux noyaux polaires réunis; l'autre, an1 est accolé au noyau de l'oosphère. - Fig. 4. Stade analogue au précédent, avec anthérozoïdes de forme variable. - Fig. 5. L'anthérozoïde an est situé entre les noyaux polaires, qui sont en contact l'un avec l'autre par une faible partie de leur surface. - Fig. 6. L'anthérozoïde an est allé rejoindre le noyau polaire inférieur, qui se trouvait sur la paroi du sac opposée à celle qu'occupait le noyau polaire supérieur. L'anthérozoïde an1 n'a pas encore rejoint le noyau de l'oosphère, dont la membrane d'enveloppe est ici très visible. - Fig. 7. Grossissement des anthérozoïdes : celui qui s'est uni aux noyaux polaires a déjà pris l'aspect de ces noyaux, avant 1'entrée en division de la masse commune; l'autre anthérozoïde, au contact du noyau femelle de l'oosphère, est moins avancé dans sa métamorphose. - Fig. 8 à 11. Noyaux d'oosphères montrant quelques-uns des aspects que l’anthérozoïde prend à leur contact. - Fig. 12 à 19. Noyaux polaires encore séparés l'un de l'autre (14 et 17) ou réunis, au contact desquels l’anthérozoïde, de forme variable, grossit peu à peu, pour arriver finalement à présenter l'aspect représenté dans la fig. 7.

 

(1) A une époque ou l'on ne soupçonnait guère 1'existence des phènoménes dont il vient d'être question et où la notion de la réduction chromatique n'intervenait pas encore dans la definition de la sexualité, M. Le Monnier avait proposé l'interprétation suivante pour le phènoméne de la fusion des noyaux polaires: «L'albumen est une plante accessoire, indépendante de la plante-mère et associée a 1'embryon pour en faciliter le développement (Journal de Botanique, 1887).

 

(1) Cette communication a été présentée, le 4 avril 1899, à l'Académie des sciences de Paris et insérée dans les Comptes-Rendus, t. CXXVIII, p. 869.

(2) D'autres espoces de Lilium (L. pyrenaicum, etc.) présentent exactement les mêmes phénomènes.

(3) Botanisches Centralblatt, p. 62, 1899.